L’accordeur voyageur, une nouvelle à lire gratuitement en ligne

L’accordeur voyageur

L’homme qui pensait que son pays était le monde

par Domi Montesinos

Lire, c’est voyager
Chaque jour, Barnabé partait à la découverte d’un pays différent.
Il en rencontrait les habitants, afin d’approfondir sa connaissance des us et coutumes locaux
et n’avait de cesse d’en découvrir toujours plus sur ce qu’il considérait comme son immense pays, à lui, le monde!
Barnabé exerçait la noble profession d’accordeur de piano.
Physiquement affecté par un problème de motricité qui amoindrissait ses capacités musculaires, la nature l’avait doté d’une oreille fine d’une rare sensibilité.
Ainsi, il compensait admirablement en performances musicales ce qui lui manquait en mobilité et sa profession lui convenait à merveille.
Aujourd’hui, Barnabé était en visite dans l’archipel des Açores.

Archipel des Açores

« Je viens de rentrer au pays », se disait-il…
Une constellation d’îles, faites de rochers noirs issus d’antiques bouleversements sismiques.
Les coulées de lave prématurément solidifiées par le contact avec la mer ont façonné là d’excentriques rivages aux visages tourmentés et rugueux.
Angra do Heroísmo est le nom d’une adorable cité blottie au creux de sa baie dans l’île de Terceira.

L’histoire en a débuté au quinzième siècle.

Caravelles, nefs et autres bâtiments, chargés des richesses pillées aux Caraïbes et ailleurs, relâchaient ici..
On y édifia de somptueuses demeures et des églises majestueuses.
Les rues y sont pavées de galets blancs et noirs, agencés en motifs géométriques du plus charmant effet. Un parfum d’aventure iodée flotte dans ces ruelles lourdes d’histoires.
Les vignes peaufinent leurs grappes entre des murets de pierres volcaniques, austères et poétiques. Cet arrangement particulier crée des tableaux naïfs aux verts tendres, encadrés d’ébène, sur le mur bleu profond de l’Atlantique.

Calme et sérénité règnent aux Açores

Les îles Açores offrent une réserve inépuisable de sites ravissants, de centres d’intérêt historiques et de sujets d’émerveillements variés.
Préservé des grandes migrations touristiques, l’archipel invite aux longues escapades, offrant d’intimes communions avec son histoire et ses éléments naturels.
De l’ascension du mont Pico qui culmine à 2350 mètres, à la visite de l’ancienne usine baleinière de São Roque, le chemin de sa découverte s’avère passionnant.
Il passe aussi par un haut lieu de la construction navale classique, le chantier de Joaquim de Mello à Santo Amaro, aujourd’hui devenu un modeste musée.
« Bonsoir Joaquim » pensa Barnabé en s’éloignant…

Allez, en route vers la prochaine escale…

Sénégal

La ville de Dakar n’offre pas immédiatement au voyageur un de ces charmes envoûtants qui invitent à prolonger le séjour.
Il en est tout autrement des deux grands fleuves, le Sine Saloum et la Casamance.
Leurs accès se méritent tant ils sont peu avares en pièges sournois et dangers variés.
Mais, une fois l’estuaire franchi, bonjour négal!

C’est ici la vraie Afrique.

Celle de ces petits villages de brousse, de ces hameaux blottis dans la mangrove au fond de quelques « marigots ».
Des pirogues bariolées sont hâlées sur la grève au pied d’un imposant baobab semblant invoquer les cieux de ses bras tentaculaires.
Cette manière de grand-père bienveillant, que les habitants appellent « l’arbre à palabres », couve de son ombre les quelques pêcheurs au verbe haut qui commentent leurs maigres prises de la journée.
L’eau était trop boueuse, le vent mal orienté et l’herbe plus verte sur la berge d’en face, sans doute…
On s’y réunit également pour débattre des sujets politiques ou pour résoudre toutes sortes de conflits de voisinage.

Dans la rue principale de ce village de brousse…

de rudimentaires échoppes en bois de récupération sont garnies de tôles ondulées. Parfois rehaussées de carton, elles abritent quantité d’artisans divers.
À la lueur faiblarde d’ampoules faméliques s’affairent menuisiers, ferronniers, tailleurs, couturières, bijoutiers, réparateurs de mobylettes et rafistoleurs de vélos.
Par contre, pas de cybercafé, non plus que de supermarché.
Un puits approvisionne la population au prix d’un soutirage manuel, à l’aide d’une corde et d’un seau.

Plus loin, dans la savane,

poules et cochons divaguent autour de cases disséminées dans le plus grand respect de l’absence totale de loi géométrique.
Les femmes sont très actives…
Disons que les éléments masculins de la communauté ne dédaignent pas de leur faire confiance pour l’accomplissement de tâches nombreuses et pénibles, qui les occupent à temps débordant.
Ces dames se sont regroupées pour exploiter un espace dédié à la culture des légumes, le bien nommé « jardin des femmes ».
Rares y sont celles qui ne portent pas un gamin : soit sur le dos, maintenu dans une toile savamment agencée pour cela, soit dans leur ventre, soit les deux !
Elles arrachent les herbes parasites, plantent, cueillent et irriguent « à l’ancienne », en puisant l’eau manuellement.
« Ainsi est le pays Diola » devisa Barnabé admiratif de leur courage…

Allez, en route vers la prochaine escale…

Amérique du Sud

Fernando de Noronha,
Recife, Salvador de Bahia.
Des noms qui chantent, chargés de promesses d’aventure pour le voyageur,
mais aussi lourds de misère pour de nombreux résidents.

Le Brésil

Une terre de contrastes, où le meilleur côtoie le pire avec une indécente proximité.

À peine sorti d’un palace de Salvador ou de Rio, cent mètres, pas plus séparent le touriste insouciant des confins d’une sordide favela.
Pourtant, il est relativement aisé, voire anodin de marcher dans une de ces rues pauvres.
La « méthode » en est assez simple, au fond, et elle vaut pour tous les endroits du monde.
Il s’agit avant tout de ne pas susciter l’envie.
Celui ou celle qui vagabonde en short, t-shirt et tongs aux pieds a peu de risques d’exciter la convoitise, même si les spectateurs locaux de sa fausse insouciance ne sont pas dupes.
Un voyageur dénué de valeur ostentatoire aura peu de probabilité de provoquer une réaction dangereuse de la part d’un autochtone démuni.
Par contre, se pavaner dans une rue proche du Pelourinho, à Salvador de Bahia, sac en bandoulière, montre au poignet et « Nikes » aux pieds, revient à faire l’homme sandwich entre deux pancartes mentionnant : « J’appartiens au monde des riches ».
Et là, l’Aventure est proche…

Recife, deux heures du matin :

Un véhicule ordinaire, rempli ras bord de passagers tout aussi ordinaires, roule sur l’avenue principale en ignorant superbement la couleur des feux de carrefours.
Un des « invités » s’indigne :
« Mais tu ne t’arrêtes pas au feu rouge ?
« Trop dangereux », dit le chauffeur. « On passe à vingt mètres des favelas. Si nous nous arrêtons là, nous serons immédiatement agressés et assurés de revenir à pied et à poil ! »
Perplexe, Barnabé méditait sur les funestes conditions de vie de certains de ses concitoyens du moment.

Allez, en route vers la prochaine escale…

Surinam

Petit état jouxtant la Guyane.
Paramaribo, avec sa rue qui monte et qui ne descend jamais, est une cité cosmopolite s’il en est.
Ses habitants en sont avant tout des citoyens du monde et de la forêt.
Sa cathédrale Saint Petrus est le plus grand bâtiment en bois d’Amérique du Sud, dont les deux tours chatouillent les nuages à quarante-neuf mètres de hauteur !
Quant à la tolérance, il y a deux maisons pour ça : une synagogue et une mosquée qui se jouxtent dans une apparente bonhomie. Rare mitoyenneté !

Le Surinam peut s’enorgueillir d’une spécialité peu commune :

Le « pikolet » du dimanche matin !

Ce « pikolet » là n’a rien d’une faute d’orthographe, ni même d’une faute de goût.
Au contraire, empreint d’une délicate poésie, ce vocable désigne une variété de passereaux.
Le Dimanche, ils s’affrontent en de matinales et sonores joutes verbales.
Ces duels d’engueulades aviaires donnent lieu à des comptages de trilles très sérieux opérés par des juges pointilleux.
C’est le plus grand nombre de trémolos qui permet de désigner le vainqueur. Lequel voit alors sa valeur marchande s’envoler, ce que lui-même ne fera probablement jamais…

La quantité de casinos que recèle cette ville est proprement étonnante

et relativement incompréhensible. Un genre de Las Vegas amazonien.
Les commerçants en ont conçu une étrange mais sympathique coutume.
Ils octroient aux chalands des remises proportionnelles à leurs niveaux de chances personnelles.
Lors de l’achat d’une paire de chaussures, par exemple, au moment de payer l’addition, un jeu de six dés est proposé au propriétaire du porte-monnaie sollicité.
Invité à les projeter lui-même sur le tapis, l’addition des points obtenus sert à déterminer le pourcentage de décote de la facture.
Celui qui sort 5 fois 1 gagne cinq pour cent, tandis que le chanceux qui n’a que des six s’en tire avec un bon trente pour cent.

Ici, le geste commercial, c’est un lancement de dés.

Et toujours avec le sourire.
Barnabé qui facturait ses prestations d’accordeur au temps passé n’eut aucune envie d’adopter cette inhabituelle méthode…

Allez, en route vers la prochaine escale…

Vénézuela

Avec pélicans, Fous de Bassan et puffins pour voisins…
Les îles vénézuéliennes font rêver dès la simple contemplation d’une carte marine.
Leurs noms évoquent l’aventure, la découverte, un étrange espoir de lendemains dorés, de rencontres avec des descendants de pirates ou une reine des Incas.
Los Roquès, Los Avès, Los Testigos, Margarita…
Une collection de cailloux globalement peu habités par des humains, mais qui hébergent quantité d’animaux, colorés comme dans un livre d’enfants…
Dans ce registre, perroquets et iguanes se disputent la vedette.
Ces reptiles sauriens, rescapés de l’antiquité, figurent avec un réalisme inquiétant certains personnages de bandes dessinées de fiction.

L’île Tortuga est sans relief

Son sol sablonneux est moquetté d’une végétation rase de plantes grasses.
Tandis que Cayo Rata, largement bordée d’une luxuriante mangrove est un havre d’accueil pour des colonies de pélicans et de sternes.
Ils y trouvent l’abondante nourriture à nageoires dont ils raffolent.

Gran Roque

Sur ce rocher plutôt aride, toutes sortes de cactus fleurissent à profusion.
Ainsi le charmant et sphérique « cactus melon », surmonté d’une délicate fleur rose bientôt muée en un savoureux radis sucré. et que d’aucun ont surnommé malicieusement « coussins de belle-mère »…
Le spectacle des pélicans à la chasse est simplement fascinant.
Ils sont gros comme des cygnes, ces volatiles !
Un genre d’énorme plumeau brun foncé qui aurait trop poussé du bec.
Ouah, cet appendice !

Des décollages laborieux pour les pélicans…

Le volume et le poids de leur outil démesuré, ajoutés à une imposante voilure, les poussent à s’aider de leurs pattes palmées pour réussir à s’extraire de l’élément liquide.
On les sent surchargés.
Pourtant, une fois en l’air, ils s’avèrent d’une grâce et d’une agilité surprenantes.
De vrais planeurs de compétition !
À la chasse, ils tournoient sournoisement sans effort au-dessus de leurs proies,
Soudain, un virage sur l’aile, réduction de la voilure et piqué.
Ils plongent à grande vitesse derrière leur sabre frontal et, plaf, ça y est. C’est dans la boite ! Pas à tous les coups, cependant.
Quelques minutes de navigation tranquille, le temps de remettre en ordre le matériel et d’arrimer le poisson dans la poche et c’est reparti.
« Le ballet d’un commando de pélicans à la pêche, ça vaut “le lac des cygnes”.
 pensait Barnabé en fin connaisseur.

Allez, en route vers la prochaine escale

Kuna Yala ou Iles San Blas

Ces descendants d’Indiens caraïbes qui peuplent encore actuellement quelques-unes de ces centaines d’îles ont fait le choix de conserver leur mode de vie ancestral.
Bien que citoyens du Panama, ils ont tourné le dos à la modernité, préférant vivre peinards, à l’ancienne, sur leurs modestes îlots sis à proximité immédiate du continent sud-américain.
Beaucoup d’hommes s’y rendent quotidiennement à bord de leurs cayucos.
Ces barques monoxyles, à voiles et pagaie, sont leur seul moyen de locomotion.
La terre continentale leur fournit bananes, citrons, oranges pour la nourriture.
Les noix de coco font l’objet d’un commerce avec l’état, qui leur procure ainsi un peu d’argent.
Certains pêchent, d’autres, plus rares, chassent.
Et puis d’autres s’adonnent à des activités artistiques dont ils vendent les produits aux rares touristes.

La grande spécialité locale: les « molas ».

Ces œuvres d’art délicates et raffinées sont confectionnées à base d’étoffes de différentes couleurs et demandent des centaines d’heures de travail chacune.
Les artistes qui les cisèlent proviennent essentiellement de la partie féminine de la population,…
et aussi de quelques rares transsexuels.
La coutume locale commande au voyageur, sitôt débarqué, de rendre visite au chef du village, le « sayla », afin de se présenter pour solliciter l’autorisation de déambuler librement sur son territoire.
Quelques dollars assurent le succès de la requête.
Armatures en bois recouvertes de palmes tressées et liées par des fibres végétales constituent l’essentiel de la hutte familiale ordinaire.
Excepté dans certaines îles du nord, l’électricité n’a pas fait son apparition dans la culture Kuna.

Sans être réellement taciturne,

ce peuple ne semble pas bénéficier d’un mode de vie particulièrement poilant…
Une maigre compensation leur est cependant offerte avec l’annuelle fête de la « chicha fuerte ».
Élaborée à base de jus de canne à sucre, fermenté à la salive humaine, cette boisson abreuve abondamment une méga « teuf » qui dure deux ou trois jours.
On picole et on se trémousse au son des tam-tams. Hommes et femmes se mettent alors minables consciencieusement, parfois jusqu’au coma éthylique…Manque d’entrainement, sans doute…
Barnabé choisit de s’éloigner discrètement en comparant, dans sa tête, les qualités gustatives respectives de la chicha fuerte et du Beaujolais nouveau…

Allez, en route vers la prochaine escale…
Là-bas, dans l’ouest des côtes de l’Équateur, une volée de kilomètres à l’intérieur de l’océan Pacifique,

Archipel des Galapagos

fascine bien des gens.
« Bienvenido al pays », se dit Barnabé qui ne dédaignait pas de se mettre aux langues étrangères dès que l’occasion s’en présentait.
Ces îles d’origine volcanique recèlent une inhabituelle variété d’animaux dont certains, endémiques, sont rarissimes.
C’est dans ces endroits singuliers, chargés d’un judicieux mélange de délicatesse et de sauvagerie, que Darwin connut l’inspiration qui lui permit de concevoir sa théorie de l’évolution des espèces.

Je vous parle de faune et flore, bien entendu.

Car pour ce qui est de l’évolution des espèces sonnantes et trébuchantes, elle atteint ici des sommets qui en limitent considérablement l’accès.
Pour visiter l’archipel en évoluant d’une île à l’autre, rien de mieux approprié que le bateau.
Lions de mer, pélicans, fous aux pieds bleus, frégates superbes, tortues, iguanes et tant d’autres bestioles participent ici d’une exubérante ménagerie.
Les otaries, compagnons de route omniprésents, prennent leurs aises.
Il s’en trouve même à faire preuve d’un sans-gêne et d’un manque d’éducation qu’on aurait cru réservé à la race humaine…
Ainsi, cette matrone, debout comme un bipède ordinaire, nageoires accoudées au comptoir de marbre de la poissonnerie et qui grogne bruyamment pour réclamer sa part d’invendus !

Une importante communauté de tortues terrestres géantes

vit à l’abri des prédateurs, dans un enclos qui lui est réservé.
Certaines sont plus que centenaires.
Amies d’enfance de Darwin et de Michel Drucker, elles coulent ici des jours heureux.
Une variété locale de gros iguanes ventrus et rouillés (ils sont de couleur orange/brun) profite également du statut d’espèce en voie de disparition pour se la couler douce, à califourchon sur la ligne d’équateur.
Hélas, tandis que la vie sur le sol des îles se trouve relativement préservée par l’organisation d’une réserve naturelle, à quelques milles au large, des navires-usines chinois pillent sans scrupule la ressource halieutique de cette pauvre mer, assaillie de toutes parts.

« Quelle misère ! »

ruminait Barnabé, passionné de voyages, d’aventure et de rencontres.
Allez, en route vers la prochaine escale…
« Il est un grand pays sphérique qu’on appelle le monde », professait-il.
Zigzaguer à sa surface à bord d’un bateau, pour en faire connaissance, est une expérience fascinante.

Les Marquises

Une merveille!
C’est beau, majestueux, puissant, envoûtant, tonifiant et pour tout dire hypnotique !
A Fatu Hiva, la majesté et la magnificence de la « Baie des Vierges » fascinent le navigateur, avant que la gentillesse des habitants d’Hanavave ne le séduise définitivement.
Le vagabond de mer qui y fait escale voyage d’émerveillement en ravissement lors de son errance marquisienne.
Les flancs de montagnes bouffis de verdure flirtent avec les cumulus alizéens en de spectaculaires élancements.

Brutal et émouvant à la fois.

Au détour des sentiers, un « tiki » surprend le flâneur et l’intimide de sa minérale indifférence.
On ne l’avait pas vu.
Pourtant, il nous regardait…
Ces effigies de personnages marquants ou de divinités antiques, sculptées dans la pierre ou le bois, témoignent d’un passé riche en cérémonies de toutes sortes.

Les « maraës »,

lieux de culte en pleine nature, étaient le théâtre d’importants rassemblements à caractères festifs.
Toutefois, le plaisir y était inégalement partagé, car les rivalités entre tribus donnaient lieu à de fréquents affrontements.
Aussi, ceux qui se trouvaient à la mauvaise extrémité du casse-tête se fendaient-ils la pêche sensiblement plus que ceux qui tenaient le manche…
De même, on dansait avec plus d’entrain autour de la marmite qu’à l’intérieur…
« Heureusement que je n’ai pas ce genre de relation avec mes pianistes », pensait alors Barnabé.

Allez, en route vers la prochaine escale…

Trouver l’entrée est la difficulté majeure pour ce type d’incursion au pays des îles liquides

Archipel des Tuamotus

Ainsi vagabondait l’esprit de Barnabé, approchant Makemo, atoll qui n’est accessible que par la mer.
Le miracle moderne du GPS indique au marin qu’il est presque arrivé, cependant que lui n’en voit encore rien.
La lave refroidie de ces anciens volcans affaissés sur place ne culmine qu’à quelques mètres au-dessus du niveau de la mer.
Une île circulaire avec un grand trou au milieu !

Une immense piscine perdue sur l’océan.

Une ou deux brèches, appelées « passes », en autorisent l’accès.
Arrivant du large et baignant dans un univers de bleus, un mince filet gris souligne enfin la frontière entre eau et ciel.
À l’approche,
cette ligne s’affirme,
puis devient verte et or.
Le noir minéral du socle volcanique porte quelques cocotiers posés sur un tapis blanchâtre de corail brisé.

Combien de marins engloutis dans ces atolls lointains

Oh combien de navires abimés, dans ces parages autrefois si dangereux et devenus fréquentables grâce aux progrès techniques ?
Le franchissement de la passe d’un atoll s’apparente à l’idée d’entrer par la surface dans un aquarium géant. L’eau y est si limpide qu’on peut distinguer le clin d’œil d’une huitre à vingt mètres de fond !
La nature a décliné ici toutes les composantes de l’arc-en-ciel en distribuant des échantillons à tout ce qui bouge et le reste du stock à tout ce qui ne bouge pas !
Seuls les requins « pointe noire » semblent bouder avec leurs uniformes gris
et le bout de leur aileron nuit d’encre.

Des coquillages impressionnants, les bénitiers,

à demi encastrés dans le corail se sont maquillés les lèvres en vert, bleu, violet, jaune, carrément fluo !
Sans doute pour épater les poissons-perroquets affairés à leur brouter le soubassement sous l’œil vigilant des chirurgiens bleu roi, bistouris en bandoulière.

Ici, un requin-nourrice fauve se tient à l’affût,

la tête à l’ombre d’un rocher nappé de végétation rose.
Là, un poulpe se dresse et ondule en danseuse de cabaret, se métamorphose en crâne humain, puis part en gélatine se planquer dans son trou à l’approche d’un squale rôdeur.

Le temps est figé.

Et l’humain en visite dans ce monde étranger se trouve rapidement subjugué, captivé, conquis, comme en catalepsie…
« En quoi aimerais-je me métamorphoser ? », rêvassait Barnabé,
en route vers sa prochaine escale…
« ça va bien à Savusavu ». Grand amateur de calembours, Barnabé ne dédaignait pas d’en commettre les plus scabreux en son for intérieur…

Archipel des Fidji

La place du village présente une singularité touristique remarquable, doublée d’une particularité culinaire avantageuse.
Une multitude de petits geysers, générés par une activité volcanique aussi souterraine qu’intense, y maintient des flaques d’eau éparses en perpétuelle ébullition.

Un marquage au sol, constitué de gros galets peints en blanc

et disposés côte à côte en un chemin balisé, facilite les déplacements humains, limités aux zones « froides ».
Le même système, disposé en cercles, repère les chaudrons bouillants.
Toutes ces précautions sont parfaitement nécessaires.
Car les ménagères y envoient volontiers leurs progénitures disposer les légumes du prochain repas à mijoter.
Autant l’immersion s’avère judicieuse s’agissant des patates à bouillir,
autant elle serait inappropriée pour les orteils des gamins ou des visiteurs.

Le bourg occupe tout le rivage de sa coquette baie.

Le long de la grève, des fumerolles s’échappent des buissons
agrémentant le paysage de panaches de vapeur.
« La cocotte-minute est sous vos pieds » semblent signifier ces étranges signaux de fumée.
Une population paisible, au sourire spontané, vaque dans la rue principale bordée d’échoppes variées.

Une coutume Fidjienne veut que les hommes s’abstiennent d’exhiber épaules et genoux.

Ainsi, même les policiers portent le sarong !
Un modèle bleu marine, prolongé vers le bas par une frange triangulaire d’un effet relativement peu martial constitue la partie inférieure de leur tenue réglementaire!
Génial pour désamorcer la crainte de l’uniforme.
La poésie y gagne ce qu’y perd l’autorité…
« Sûrement pas commode pour accorder un piano », remarqua notre musicien.

Allez, en route vers la prochaine escale…

Nouvelle-Calédonie

« Comment dépeindre l’Île des Pins ? ».
Barnabé venait de rechuter dans le jeu de mots approximatif dès son arrivée…
Le nom kanak, « Kunié », suggère que l’Île des Pins serait la plus proche du paradis…
Elle recèle tant de paysages idylliques qu’on serait tenté d’y croire.
La féerie débute dans la superbe baie d’Upi, au pied du pic N’Ga.
Sous la rudimentaire pirogue à balancier qui promène le voyageur, c’est corail à profusion dans une eau cristalline ou évoluent avec grâce tortues et raies.
Attention, comprenons bien que les tortues ne sont pas rayées et que les raies ne sont pas torturées…

Les pins colonnaires,

araucarias endémiques de la Nouvelle-Calédonie, observent le visiteur au garde à vous tandis que l’embarcation se faufile avec aisance, jusqu’à la plage, entre les somptueux massifs coralliens.
C’est là qu’un sentier ombragé, au sol de racines entrelacées, invite à poursuivre la visite vers une merveilleuse piscine naturelle : la baie d’Oro.
Creusé dans le corail par Dame nature, cet aquarium féerique est très bien protégé des vagues de l’océan avec lequel il communique par un étroit chenal.
Ses eaux cristallines offrent un merveilleux sujet de ravissement pour les amateurs de faune et flore sous-marines.

Les « patates » de corail resplendissent aux rayons du soleil

cependant que les poissons-soldats veillent aux évolutions du poisson-coffre.
Les demoiselles s’amusent des poissons-clowns et les poissons-trompettes haussent le ton pour se faire entendre des poissons-perroquets avec la bénédiction des poissons-anges.
Les poissons-porcs-épics jalousent les balistes que les labres adorent.
Seuls les vivaneaux nagent comme vous et moi, sans faire les malins.
Barnabé se rua bientôt sur son « livre de poissons » afin de mettre un visage sur tous ces inconnus à nageoires.
Et puis, en route vers la prochaine escale…

A la rencontre de Tukiar Dhakiyarr,
authentique aborigène d’Australie que Barnabé considérait déjà comme son frère sans même le connaitre.

Australie

« Un pays immense et fantastique où les ressources naturelles abondent » déclara Tukiar.
« Nous n’y sommes pas très nombreux, en regard de la superficie. Seulement quelques centaines de milliers d’individus.
Nous y vivons depuis si longtemps, en générations successives, que nous maitrisons à merveille la cohabitation entre la terre et ses habitants humains ».
« Depuis plusieurs milliers d’années, nous avons appris et perfectionné l’art d’exploiter durablement les ressources de notre sol. Et nous savons aussi très bien transformer et conserver ces richesses naturelles ».
« De même pour nos habitations, que nous construisons toujours à base des matériaux disponibles localement, avec des résultats excellents en termes de solidité, d’élégance et de confort ».
« Ainsi, grâce à nos pratiques agricoles et piscicoles évoluées, nous vivons en harmonie avec la nature environnante ainsi qu’avec nos voisins et nous ne manquons de rien de ce qui est essentiel ».
« De fait, nous vivons heureux, dans un climat agréable et sain ».
« Hélas, bien que tout cela ait duré plus de 50 000 ans, il était écrit qu’une fin était inéluctable ».

« Il y a quelques siècles, le malheur s’abattit sur nos têtes noires avec l’arrivée d’hommes blancs,

venus de l’autre côté de la planète, par bateaux ».
« Ils ont commencé par décréter que notre grande île était « inoccupée » (ce sont leurs propres termes) ; se faisant fort d’en prendre possession, à leur profit exclusif ».
« Ces envahisseurs nous ont bientôt pollués de vices et maladies jusqu’alors inconnus de notre peuple ».
« Malgré notre caractère intrinsèquement peu belliqueux,
leurs brutalités et leurs excès divers,
souvent liés à la consommation d’alcool,
ont conduit à de nombreux affrontements et exactions ».


« Le résultat global en fût, bien évidemment en notre défaveur.


Nos valeurs, notre culture, nos savoir-faire furent continuellement foulés aux pieds et, en définitive, anéantis ».
« Alors, il nous a fallu attendre plus de deux siècles, de luttes et de brimades, avant que naisse un mouvement moderne en faveur d’une réhabilitation des droits civiques des aborigènes ».
« Malheureusement, le mal est fait et il sera difficile à réparer ».
« Peut-être le temps est-il proche où une prise de conscience de l’immense intérêt que revêtaient nos savoir-faire ancestraux conduira à choyer et préserver le peu des nôtres qui savent encore quelque chose… »

« Bonsoir Tukiar »

susurra Barnabé assommé par ce qu’il venait d’apprendre.
Allez, en route vers la prochaine escale…

Visite à une myriade d’îles,

Archipel Indonésien

Les « jukungs » sont des pirogues de pêche d’une rare élégance que l’on rencontre dans les eaux de Bali.
Ces trimarans ont une coque centrale monoxyle, creusée dans un tronc d’arbre par des outils coupants manuels.
De chaque côté, une planche de bois soigneusement ajustée augmente le franc-bord, améliorant ainsi leur confort et leur capacité de charge.
Les deux flotteurs sont également issus de la forêt.
Ce sont deux simples branches, bien droites et bien effilées, simplement taillées en sifflet sur l’avant.
L’originalité la plus singulière de ces bateaux réside dans leurs magnifiques bras de liaison aux courbes tellement harmonieuses.

Mais comment font-ils ?

Ces constructeurs rusés et patients choisissent des arbres à pousse rapide dans la savane avoisinante et contraignent leurs troncs à se développer en arc de cercle en les ficelant à leurs voisins !
Un vrai défi!

Après quelques mois, lorsque le tronc a atteint un diamètre jugé suffisant

il est coupé et mis à sécher dans la forme souhaitée.
C’est ainsi que naissent les « jukungs », embarcation dont la grâce le dispute à l’efficacité.
À ce stade, l’élément décisif qui rendra l’embarcation définitivement magnifique, c’est sa peinture et sa décoration soignée qui en feront bientôt une manière d’œuvre d’art.
Ce souci omniprésent d’expression artistique découle, en partie, des cultures bouddhistes et hindouistes qui sont trés répandues dans ces îles.
Dans un autre ordre d’idée, les cérémonies religieuses donnent lieu, elles aussi, à de somptueuses manifestations de ce souci d’esthétique permanent.

Suivant certaines croyances,

les défunts doivent être incinérés dans le respect de rites et de procédures ancestraux.
Ainsi, les cendres du cher disparu sont impérativement dispersées dans la mer.
Ce retour à l’élément premier permettra alors à l’âme du mortel de se désolidariser définitivement de son enveloppe charnelle, laissant ainsi la voie libre à sa prochaine réincarnation.

Hélas, ces grands rassemblements populaires coûtent très cher et les familles modestes ne sauraient les financer.

Alors, elles s’associent entre elles pour y parvenir et prennent le temps de réunir l’argent nécessaire.
En attendant, la dépouille du futur roi de la fête est enterrée et ne sera exhumée que lorsque le financement sera bouclé… souvent quelques années plus tard.
Le moment venu, les ossements seront réunis dans une étoffe en un paquet pas plus gros qu’un jambon.
Les familles auront, avec sagesse, mis ce temps à profit pour faire construire un magnifique taureau (ou un lion) en bois et tissus, finement décoré.

Le jour de la cérémonie,

au moment venu, un officier du culte ouvrira le dos de l’animal avec respect et sa scie égoïne afin d’y introduire les ossements de la dizaine de défunts concernés.
Plusieurs centaines de personnes dont de nombreux musiciens auront été conviés à cette fastueuse et spectaculaire fête populaire.

L’animal sera convoyé en procession et déposé sur un bûcher, au centre d’une clairière.

C’est là que, dans l’allégresse générale, le feu réduira en fumée la splendide et coûteuse statue et son contenu.
Tard dans la nuit, les familles recueilleront les cendres, puis se rendront à la rivière en procession pour accompagner le défunt dans son ultime voyage.
Se déroulant longtemps après la perte de l’être cher, la tristesse n’est pas de mise, bien au contraire puisque le but de cette joyeuse fête de famille est bien de le « libérer » pour lui permettre de prendre un départ vers une nouvelle vie d’aventure…

« En quoi pourrais-je bien renaitre »,

songeait Barnabé en s’éloignant de la fête
Allez, en route vers la prochaine escale …
« Bonjour les grands singes », lança Barnabé enthousiaste à son arrivée.

Bornéo

Le parc national de Tanjung Puting mérite bien une excursion sur deux jours au cœur de la forêt.
C’est tout naturellement le « klotok » qui s’impose pour cette escapade en territoire sauvage, sur le tapis brun des eaux de la rivière, entre le bleu du ciel et le vert de la canopée.
Cette embarcation locale en bois, au confort relatif, doit son nom à consonance exotique aux effets sonores induits par sa motorisation rustique : un moteur diesel monocylindre à échappement libre !
Ces « klo-toc, klo-toc, klo-toc » tonitruants résonnent dans la forêt semblant adresser à la faune son dissonant message de porteur de troubles…
Comme si alerter les animaux sauvages d’une présence humaine présentait un quelconque intérêt.

La première rencontre avec un orang-outan

intervient peu de temps après l’arrivée à camp Leakey, quelques kilomètres à l’intérieur de la forêt tropicale.
C’est un des objectifs de l’aventure.
L’effet de cette confrontation est toujours intense et surprenant :
– « Ils sont comme nous ! ».
C’est la réflexion qui vient immédiatement à l’esprit.

Les similitudes avec l’humain sont aussi flagrantes que troublantes.

Les femelles ont, pour leurs petits, des attitudes et des attentions de mamans-dames !
Caresses, câlins, remontrances, aides et soins divers ramènent les visiteurs à leurs propres enfances.

De son côté, le mâle dominant règne

sur une communauté et un territoire conquis de haute lutte, à force de bagarres et de démonstration d’autorité.
Ainsi parvenu à son statut de « chef », l’animal ne saurait croiser le regard d’un mâle humain sans se sentir immédiatement menacé.
Il est alors capable de devenir terriblement agressif et dangereux, tant sa puissance musculaire est grande.
À taille presque égale, la puissance de ses mains est dix fois supérieure à celle du gros malin qui le contemple, appareil photo en bandoulière.
Le plus grand respect est de mise lors de ces rencontres…

Heureusement, les guides veillent

et détournent l’attention du primate, le temps de prendre du recul.
La reproduction est une mission qui motive particulièrement le zèle de Monsieur Outan (Orang, c’est son prénom…),
Ah, ça, il n’est pas feignant le gars ! Très assidu, même.
Capable d’honorer une dame de rencontre pendant pas loin d’une demi-heure sans une seconde de pause.
Klo-toc, klo-toc, klo-toc…le diesel du coït!
Et il est de nouveau au garde à vous un quart d’heure plus tard!
Quelques minutes pour choisir l’heureuse nouvelle élue et ça repart.
Entièrement dévoué à lutter contre l’extinction de la race !

Cette forêt tropicale regorge d’espèces d’animaux peu communs dans les contrées citadines.

Ainsi les gibbons, autre variété de singes arboricoles de plus petites tailles, sont des champions incontestés de la brachiation.
Ce mode de locomotion s’opère par balancement d’une branche à une autre, suspendu alternativement par un de leurs longs bras.
Ils se déplacent ainsi à la vitesse d’une bicyclette avec une grâce inégalable, fabuleux trapézistes sans public dans leur grand cirque naturel.

Les plantes carnivores

font partie de la riche faune environnante.
Ces végétaux tirent leur nutriment de la consommation d’animaux qu’ils ont préalablement attirés dans leur piège.
Pour qui ne s’est jamais intéressé au sujet, ce concept semble tout droit sorti de l’imagination exubérante d’un auteur de romans de science-fiction. Il n’en est rien.

Grimpantes, elles développent des feuilles d’un style bien particulier.

D’un caractère un tantinet belliqueux, elles transforment bientôt leurs limbes en urnes de la mort.
Ces redoutables pièges sont fermés par un opercule destiné à éviter la dilution du contenu par l’eau de pluie.
À l’intérieur de ces récipients naturels, un liquide, généré par la plante elle-même, digère les différentes proies qui ont eu la maladresse de s’aventurer dans ce bocal d’un genre plutôt malsain.
Hélas, cette somptueuse forêt tropicale de Kalimantan fait l’objet d’une des plus redoutables déforestations actuellement en cours, accélérant inexorablement l’extinction de certaines espèces animales.

La culture du palmier à huile,

notamment, n’est pas étrangère au massacre en règle de cette partie du patrimoine forestier mondial.
« Quelle tristesse et quel gâchis », pensait Barnabé en regrettant un peu d’être si gourmand de pâte à tartiner…
Allez, en route vers la prochaine escale…
Décidément très friand du mode de vie « ilien » Barnabé opéra un nouveau « retour » en pays lacustre.

Ko Panyi est un village de pêcheurs thaïlandais

d’une originalité marquante.
Construit sur pilotis par des familles malaises venues s’installer au dix-huitième siècle dans cette province de Phang Nga, sa population en est de confession musulmane.

Devenu une curiosité touristique, cet îlot de moins de deux mille âmes offre cependant un intérêt indéniable.

Presque entièrement soutenue par ses milliers de jambes de bois graciles, l’agglomération s’adosse à une de ces impressionnantes formations karstiques qui composent l’essentiel des paysages de la région.
Une énorme canine calcaire, posée sur un socle en dur, constitue une toute petite partie de la cité et accueille la mosquée.
Cependant que ruelles, maisons, passerelles et boutiques sont en bois et perchés au-dessus des flots.

Une myriade de tentacules maigrelettes

émerge de la mer jusqu’à une hauteur d’à peine deux mètres pour sustenter cet ensemble hétéroclite qui semble défier les lois de la pesanteur…
Ici, comme dans toutes les zones tropicales, chaleur et tarets déciment les constructions en bois sans aucune pitié.
Alors, malins, les habitants ont pris l’habitude de remplacer les étais fatigués par des tubes de plastique remplis de béton et ferraille, beaucoup plus durables.
Autant certains édifices relèvent du plus infâme bricolage, autant d’autres résidences et échoppes ne manquent pas de charme avec leurs façades colorées et leurs balcons ouvragés.
Il en est de même sur l’eau où des barques pimpantes jouxtent des radeaux qui voudraient jouer au vrai bateau.

La pêche

continue de constituer une des activités majeures de cette communauté.
Cependant il est manifeste que c’est le tourisme qui apporte, et depuis longtemps déjà, les subsides nécessaires au mode de vie contemporain des villageois.
Le sourire sur les visages et l’amabilité généralisée laissent à penser que cette population s’épanouit, dans la bonne humeur.
Par contre, le calme ne peut s’apprécier qu’en dehors des heures d’affluence, lorsque les derniers « long-tails » ramènent leurs chargements de visiteurs vers la voisine Phuket.
« Pas un seul piano à accorder ici », remarqua Barnabé en prenant congé.

Allez, en route vers la prochaine escale…

Archipel des Chagos

Encore un groupe d’îles originales
Peut-être le sont-elles toutes en définitive. Quand ce n’est pas leur géographie, c’est leur histoire ou celle de leur population que se démarque.
De nombreuses années durant, ces terres étaient habitées par un peuple paisible de cultivateurs et de pêcheurs.

Chassés de leur terre natale

par la perfide Albion, au profit de militaires américains, les « Chagossiens » sont désormais « parqués » sur l’île Maurice, dans une sorte de ghetto où ils consomment leur ennui.
Pendant ce temps, quatre mille soldats américains vivent sur la plus grande de leurs îles, Diégo Garcia…
Pourtant, c’est le drapeau tricolore qui flottait sur ce territoire au dix-huitième siècle.
Des planteurs venus d’Île-de-France y cultivaient la noix de coco et une entreprise de pêche y vit même le jour.

Las, l’archipel fut bientôt cédé aux Britanniques par le traité de Paris de 1814.

Puis, dans les années 60, l’armée américaine loua Diégo Garcia aux Anglais à la condition expresse que l’ensemble du territoire soit inhabité !
Une méthode particulièrement sournoise fut alors mise en œuvre pour expulser les Chagossiens presque sans heurt apparent.
Chaque fois qu’une intervention médicale ou un accouchement se présentait, les personnes concernées étaient transportées à l’île Maurice, tous frais payés…

Mais le billet de retour n’était pas prévu !

À présent que la population d’origine est totalement absente de l’archipel, il est encore possible d’y faire de courtes escales en bateau afin de visiter ces territoires admirables, regorgeant de coraux endémiques et d’une vie sous-marine d’une incomparable richesse.
Pour cela, il faut se soumettre à un grand nombre de conditions, dont certaines sont très dispendieuses.
Bien entendu, la durée du séjour autorisé est très limitée et assortie d’une interdiction absolue de s’approcher de Diégo Garcia.

Un peu partout, la végétation reprend ses droits.

Les vestiges témoignant d’une ancienne présence humaine disparaissent inexorablement, phagocytés par la luxuriante jungle tropicale.
Les nouvelles générations, enfants des habitants « d’avant », naissent à Maurice et y grandissent.
Ainsi, ils revendiqueront de moins en moins les territoires de leurs ainés et l’affaire sera définitivement réglée !
« Quelle arnaque ! » s’énerva Barnabé qui supportait mal l’injustice. Et on peut le comprendre.
Un musicien se doit de jouer « juste ».

Allez, en route vers la prochaine escale…

Rodrigues

Barnabé allait en rencontrer des musiciens !

Qui connait l’île Rodrigues?

Un modeste caillou, émergeant à peine du milieu de l’océan Indien et proche de Maurice dont elle dépend…
Cette situation n’enchante nullement ses citoyens.
Se sentant plus francophiles qu’anglais, ils en boudent la langue, pourtant officielle, lui préférant le créole et le français.

Benjamin Gontran était un accordéoniste rodriguais de grand talent.

Enfant, il en avait appris l’usage tout seul en « empruntant », en catimini, l’instrument de son père.
Il y excella rapidement et devint un des musiciens les plus prisés pour animer mariages et fêtes dansantes diverses.

Rodrigues compte de nombreux adeptes du « diato ».

Le dimanche après-midi, il s’en trouve toujours pour interpréter les « kotis » (Scottish), valses et autres mazurkas dont les rythmes enchantent nombre de danseuses et danseurs de tous âges.

Ben s’en est allé en 2017 rejoindre le paradis de l’accordéon.

Il a été un artisan majeur du développement culturel de son île.
Ses actions en faveur des groupes folkloriques en ont fait un monsieur très respecté.
Dans ce pays du « savoir bien vivre », le temps ne file pas, il lambine en trottinant joyeusement.
D’ailleurs, bien des animaux l’ont perçu et prospèrent depuis des lustres sur ce caillou et dans son lagon.

Suspendues à leurs cintres,

improbables fantômes aux allures de chemises délabrées agitant leurs bras graciles, les ourites sèchent.
Ces poulpes, tirés de leur univers liquide par les piques habilement maniés de quelques Rodriguaises pêcheuses, rejoindront bientôt la marmite.
Bien différente est l’existence de la tortue d’Alcatra qui peut trimballer ses deux cent cinquante kilos pendant un siècle et demi ! C’est la réserve Leguat qui leur a sauvé la mise et évité l’extinction de l’espèce.
À l’époque, pas si reculée, de la « marine en bois », ces animaux, qui proliféraient en très grand nombre, constituaient un important stock de viande pour les marins en expéditions lointaines.

Vallonnée et verte,

enchâssée dans son fantastique lagon turquoise agrémenté d’îlots épars, Rodrigues est l’Eden des flâneurs et de tous épicuriens de la nature.
Ses origines volcaniques l’ont enrichie de grottes, de criques, d’anses et autres cascades propres à susciter l’émerveillement.
La moindre promenade piétonnière est assortie de rencontres magiques avec toutes sortes d’animaux, de personnes, de paysages et surtout, avec soi-même.
Le sablier se fige et donne du temps… pour profiter… au calme.

Tout ce que Barnabé appréciait…

Allez, en route vers la prochaine escale…

Consultant une carte marine tombée sous son nez par hasard, Barnabé remarqua la proximité de l’archipel des Mascareignes.
Il en fit sa destination suivante.

Bien différente de sa voisine est l’

Ile Maurice

dont les trépidations citadines contrastent sévèrement avec la douceur rodriguaise.
La roche volcanique noire, mise à nu par l’inlassable travail d’érosion des vagues, assombrit et oppresse l’esprit du marin en approche.
Pourtant, Saint Louis, la capitale, offre tout de même quelques attraits aux visiteurs.
Ainsi cette avenue principale aux austères façades en pierre de lave. Sa rigueur en est tempérée par deux défilés d’élégants palmiers bouteilles aux allures de sentinelles végétales.

La production du sucre de canne,

autrefois industrie principale de l’île, s’est réduite en une activité plutôt « confidentielle ».
Une dizaine d’entreprises sucrières subsistent cependant et génèrent plusieurs variétés distinctes à partir des mêmes cannes, juste en modifiant les paramètres de cuisson du sirop.

Au lieu-dit « Pamplemousse »,

L’ancienne usine est devenue musée et son imposante cheminée a perdu son panache de fumée pour n’être plus qu’un grand cigare de briques, témoin inerte d’une époque révolue.
Sa visite en est exquise et instructive.
Véritable voyage dans le passé, la description méticuleuse des différents « process » de cristallisation raconte, à sa manière, l’histoire de l’île.

Non loin se trouvent les salines de Tamarin,

théâtre quotidien du rude labeur d’une poignée de solides paludières.
Elles évoluent tôt chaque matin, avant l’agression des rayons solaires.
Lestées chacune d’un sac de cinquante kilos juché sur la tête, elles accomplissent inlassablement leur travail de chenilles processionnaires.
L’eau saumâtre dégouline sur leurs épaules de déménageuses, sans les perturber plus que ça…
La visite, commentée par une jeune femme aussi charmante qu’érudite, est attrayante et doublée d’une agréable balade dans un dédale de bassins aux couleurs délicates et changeantes.

Ne cherchez pas le rayon « sel de Maurice » chez votre épicier habituel.

L’intégralité de la production, en partie subventionnée à titre de préservation du patrimoine, est consommée dans l’île.
Barnabé prenait son café sans sucre.
Pourtant, il se délecta des paroles de la guide, sans la quitter du regard…

Allez, en route vers la prochaine escale…

« Diego Suarez ! En voilà un nom qui fait rêver, qui sonne exotique », s’enthousiasma Barnabé, « de retour » à

Madagascar

«Le parfum de l’aventure flotte dès son évocation… »

Eh bien, cette agglomération à la réputation sulfureuse sait, effectivement, offrir des expériences qui sortent de l’ordinaire.
L’ensemble de ce que le regard peut embrasser se trouve empreint des effets désastreux dus aux outrages du temps.

Tout est délabré, rouillé, usé, décrépit !

Les taxis qui cahotent en ville sont exclusivement des Renault 4L jaunes parfaitement hors d’âge.
Affichant couramment trois cent mille kilomètres, ces véhicules souffreteux sont souvent « allégés » de tout ou partie de leur plancher.
Malgré cela, chargés de leurs cinq ou six passagers, ils peinent à gravir les rues en pentes.
Il n’est pas rare de devoir évacuer deux ou trois clients dans les montées, pour les « récupérer » en haut.
Un genre de moyen de locomotion spécialisé dans les descentes…

Ah, il est bien révolu le temps de la présence française.

Les routes entretenues et les écoles pimpantes ne sont plus qu’un lointain souvenir.
En quelques décennies d’indépendance, « Mada » est devenu un des pays les plus pauvres au monde.
Pourtant, les ressources naturelles sont abondantes. Le sous-sol en est riche et le climat autorise bon nombre de cultures.
Mais cette île immense ne semble pas avoir d’identité nationale.

C’est le règne du « chacun pour soi ».

Les forêts sont outrageusement déboisées.
La corruption anéantit trop souvent toute initiative de progrès social d’envergure.

L’empathie ne prédomine pas ici.

Qu’un pêcheur se trouve en difficulté en mer, sur sa pirogue, risquant de se faire entrainer au large à la nuit tombée, il est peu probable qu’un Malgache lui viendra en aide.

Mais pourquoi  tant d’indifférence?

Simplement parce que tout le monde sait que le gars ne pourra pas payer pour le service rendu…
Alors tous préfèrent rester à l’écart en pensant : « Il va périr. C’est comme ça ».

La vie a peu de valeur ici. On côtoie la mort tout le temps.

Ainsi, lorsqu’un enfant est malade, il est soigné au village avec des plantes et toutes sortes d’incantations.
Mais, en cas d’insuccès, presque personne ne peut payer médecin ni médicament…alors il succombe.Les Malgaches sont généralement des gens paisibles et aimables.
Mais ils sont habités d’une certaine forme de violence intérieure latente qui peut ressortir et s’exprimer à tout instant.

Mitsio

Le sol de latérite rouge, peu arboré, laisse une impression d’aridité, tempérée par un ruban de sable clair bordé de noirs galets.
Dépouillé.
Quelques cases, ombragées de cocotiers et autres palmacées, composent un village typique.
Des « arbres du voyageur », aux somptueux ramages, apportent comme une touche de prospérité dans cet environnement

Les poissons ramenés de la dernière pêche sèchent au soleil et au vent, en lugubres guirlandes odorantes.

Perché sur une maigrelette charpente en branches, un jeune gars s’affaire à reconstituer un toit de palmes.
C’est la case de sa « cliente » et ils font un travail d’équipe.
Elle brandit bien haut les ramages de palmiers verts, que lui se charge d’entrelacer comme il faut, afin d’en faire une honnête couverture végétale.
La durée de vie de cette couverture naturelle n’excèdera pas deux ou trois ans, mais les matériaux n’ont rien coûté…

Nosy Komba, village d’artistes.

La production de tableaux naïfs et de sculptures est clairement destinée aux touristes.
Assis à même le sol, sur son tapis de copeaux, une pièce de bois maintenue entre ses pieds, Marc façonne son œuvre de ses outils ébréchés et désolants.
Un lémurien, vivante peluche endémique, lui court sur le dos, grimpe sur son épaule et se perche sur sa tête, bras tendus en quête de nourriture.
Sa femelle porte leur petit accroché aux poils de son ventre.
S’il lâche et tombe, il mourra, car sa mère, le considérant alors « trop faible et donc non viable » l’abandonnera.
Le sentimentalisme n’a pas cours chez ces animaux…

Un jeune guide exhibe son impressionnant boa constrictor.

Il s’amuse à le déposer subrepticement au cou des passants, pour le fun… pour la photo souvenir… pour un peu de monnaie.
Dans la plupart des villages côtiers, on trouve d’habiles constructeurs capables de fabriquer une gracieuse pirogue à balanciers.
Ces libellules portent souvent une imposante surface de toile, en dépit de leur apparente fragilité.
Menées par d’intrépides marins, elles atteignent des vitesses tout à fait respectables.
Par contre, question « fiabilité », il y aurait à redire…

Moramba Bay

Une ligne dorée de sable blanc semble brisée par des manières de champignons aux allures thaïlandaises.
Ces formations karstiques, largement érodées en leurs bases, sont chapeautées de vert et ennoblies par la présence en leur sommet du roi de la forêt : le baobab !

Poète en diable et bouffis de franche bonhomie, les Malgaches prêtent aux baobabs des vertus sacrées.

Il est vénéré comme un temple végétal et on se prosterne devant lui pour implorer les esprits, ou lui confier offrandes et dévotions.
Son tronc, comme celui de l’arbre du voyageur, est gorgé d’eau qu’il fournit généreusement en échange d’une simple incision à la machette.
« Nettement plus sain, pour se désaltérer que le liquide brunâtre des puits de villages où viennent indifféremment se servir les humains et différentes bestioles, dans l’absence totale d’hygiène que cela implique », remarqua Barnabé.

Allez, en route vers la prochaine escale…

Et il opéra bientôt une nouvelle visite au pays des « big five », en

Afrique du Sud

Le parc « Hluhluwe », ou « Imfolozi park », situé dans le sud-est est une immense étendue de forêt remplie d’animaux sauvages en liberté.
On peut y contempler, bien à l’abri dans un véhicule, ces emblématiques grands mammifères qui suscitent l’engouement des foules touristiques buissonnières : buffles, éléphants, léopards, lions et le fameux et rarissime rhinocéros blanc qui a échappé, pour le moment, à l’extinction de son espèce.

Une excursion de quelques jours dans cet espace naturel fascinant

permet l’observation d’une impressionnante quantité d’animaux, en plus de ces cinq-là.
Suivant les sensibilités, le regard s’attardera sur le zèbre des plaines, si seyant dans son indémodable pyjama, le véloce impala ou l’altière girafe.

Les crocodiles du Nil ne sont pas nuls

non plus et enchanteront les amateurs de sauriens alors que l’élégance des nyalas ne saurait laisser indifférent.

On trouvera tout autant de bonheur et de ravissement à la contemplation des chenilles qui peuvent être joyeusement colorées ou encore hérissées de poils drus, façon « brosse à dents ».

Le bousier, une bestiole fascinante!

Cependant, si on s’autorise à délaisser momentanément le côté esthétique, pour se focaliser sur les valeurs morales, il est une bestiole au plus haut point digne d’intérêt et même hallucinante entre toutes : c’est le bousier.
Ce coléoptère à la carapace lisse et noire, grand ami de « Maya l’abeille », semble tout droit sorti d’un personnage de jeu vidéo.
Il fut le héros d’une fable d’Ésope qui faisait l’éloge de son inventivité et de son opiniâtreté.
Comme son nom l’indique assez clairement, cet insecte coprophage se nourrit des résidus de digestion de certains autres habitants de la forêt, opérant ainsi un recyclage authentique qui force l’admiration.

La nature englobe quantité d’animaux aux habitudes culinaires plus ou moins recommandables.

Cependant, l’originalité du bousier ne réside pas dans le choix de ses menus.Ce seraient plutôt ses méthodes et son style de vie qui interpellent.
Il faut avoir observé cet extraordinaire petit animal à l’œuvre pour bien percevoir ce qu’il déploie d’ingéniosité et de force, physique et mentale, pour parvenir à ses fins.
Tout ça à dessein d’endiguer sa faim et celle de sa famille proche.
Sitôt qu’il a repéré un gisement de sa matière de prédilection, l’individu s’attelle à sa première tâche.
Il sculpte patiemment le bloc informe jusqu’à l’obtention d’une belle boule, parfaitement sphérique.

Qui n’a jamais tenté de fabriquer un cochonnet

de pétanque à l’aide de son opinel ne saurait mesurer la dextérité requise pour parvenir à ce premier admirable résultat.
Et ce n’est que le début !
Le but de cette recherche de rondeur est de permettre à notre ami (à ce stade du récit, l’auteur, séduit par tant de performance, aurait tendance à intégrer le coléoptère au cercle de ses amis) de « transporter », à moindres frais, l’appétissante réserve nutritive vers son camp de base afin de s’en délecter tranquillement et en bonne compagnie…
C’est ici que ce noble caparaçonné dévoile une autre facette de sa puissante personnalité : force et habileté intelligemment conjuguées.

Ainsi, tantôt poussant, parfois tirant son lourd butin,

il s’échine à le rouler envers et contre tous les accidents du terrain.
Et ils sont fort nombreux, vu qu’on est en forêt et pas sur l’autoroute.
N’ignorant rien des dures lois de la pesanteur, le petit malin est capable de grimper sur le sommet de son casse-croute afin de s’y agripper tout en se penchant en porte à faux de manière à utiliser son poids pour le faire basculer : impressionnant !


C’est d’ailleurs un bon moyen, pour l’observateur, de repérer cet artiste méconnu.

Qu’une crotte sphérique se déplace seule en roulant et le bousier n’est certainement pas loin.
Un docteur londonien faisant autorité dans le monde merveilleux des études comportementales coléoptériennes a découvert que cet insecte fascinant est le plus fort de l’univers dans sa catégorie.

Des mesures sérieuses ont prouvé qu’il était capable de soulever 1141 fois son propre poids !

Ce qui constituerait, semble-t-il, un atout majeur pour séduire une « bousière » en vue de collaborer avec elle à la préservation de l’espèce dans la joie et la bonne humeur.
Par contre, aucune information n’a, pour le moment, transpiré au sujet de l’éventuel plaisir qu’ils y prendraient, ensemble ou séparément…
Barnabé peinait à s’imaginer soulevant plus de mille fois son poids… Un piano sous chaque bras, peut-être…

Allez, en route vers la prochaine escale…

Capetown

Bien que peu attiré par la vie citadine, Barnabé de lança dans une « visite en pays urbain » .
Parterre de béton, étalé au pied de la majestueuse « montagne de la table », la ville se présente au visiteur comme une cité moderne « ordinaire ».
Les rues larges, aérées, aux trottoirs réguliers et propres détonnent, cependant, singulièrement avec le dénuement miséreux qui caractérise les « townships » voisins.

L’Afrique du Sud est un pays de contrastes.

On y passe du cossu au sordide en quelques minutes seulement.
De Nobel Square à City Bowl en franchissant le quartier de la marina, on ne rencontre qu’opulence et modernisme, dans une ambiance générale de confort et de bien-être.
Tout est propret, correct, bien rangé…
On se croirait aisément dans un pays prospère dans lequel tout est prévu et calculé en faveur des citoyens pour qu’il y fasse bon vivre.

Mais, hélas, le mot « township »

se balade, lancinant, dans la tête du voyageur… Il l’a entendu, bien sûr.
Il a même lu quelques lignes sur le sujet…
Pas suffisamment pour « savoir » vraiment, et donc ça reste assez vague dans son esprit.
Le moment semble opportun pour voir tout ça de plus près.
D’autant que certains chauffeurs de taxi proposent leurs services pour s’y rendre et faire le guide…
Ainsi, après une pincée de kilomètres, la belle route bitumée aux trottoirs pavés s’est muée en chemin caillouteux ou

des flaques récurrentes logent des colonies de moustiques.

Et l’amère réalité apparait dans toute sa laideur…
À perte de vue, des rangées de cabanes souffreteuses, aux tristes façades transpirent la souffrance.
Le royaume de la tôle ondulée rouillée et de la débrouillardise de survie.

L’avènement du patchwork d’étanchéité à base d’emballages recyclés.

Par endroit, un piquet planté dans la terre supporte un robinet en laiton.
Étrangement, il brille de mille éclats jaunes !
Étonnant.
On l’aurait poli ?
Non, bien sûr. Simplement, c’est cette ridicule petite vanne qui dessert en eau la cinquantaine d’habitations adjacentes.
Et donc, ce sont les milliers de mains qui le manœuvrent à longueur de journée qui l’ont ainsi « astiqué ».

Des toiles d’araignées de fils électriques sauvages

alimentent de rares ampoules installées par quelques braconniers du kilowatt.
Les « toilettes » aussi se partagent.
Non pas au fond du jardin, mais au bout de la rue.
Une grande partie de ces populations travaille dans une usine voisine, souvent pour fabriquer des automobiles, qui sont destinées à l’exportation.

Les choses évoluent cependant

Et de nouveaux quartiers apparaissent avec des conditions de vie plus décentes.
Eau courante, raccordements électriques, toilettes individuelles remplacent petit à petit les insalubres et minuscules cabanes familiales, heureusement vouées à la destruction.

Plus réjouissante est la découverte de la fameuse « Table Mountain ».

L’approche en téléphérique en procure le premier ravissement.
L’énorme carton à chapeau entièrement vitré envoie dans les airs une soixantaine de candidats à l’ascension.
Cette nacelle est suspendue à un système qui la fait tourner lentement sur elle-même pendant toute la montée.
Ainsi, le spectacle est absolument féerique et carrément impressionnant, surtout pour les sujets vertigineux…

En haut, c’est naturellement climatisé, du fait de l’altitude…

Et le point de vue est parfaitement fantastique, évidemment.
On croirait déambuler sur le toit du monde.
En bas, dans la belle marina sise au centre-ville, les otaries à fourrure, une spécialité locale, assurent les sketches quotidiens.

Ces charmants nounours aquatiques peuvent dépasser les trois cents kilos !

Mais ça ne les empêche pas de monter sur les pontons et même à bord de certains bateaux d’où il peut alors être délicat de les déloger.
« Sans parler de leur odeur », observa Barnabé en grimaçant…

Allez, en route vers la prochaine escale…

Sainte-Hélène

On ne se retrouve pas ici par hasard.
L’accès en est quelque peu ardu et seule une volonté délibérée d’y venir peut permettre de surmonter les obstacles qui l’isolent singulièrement.
Par la mer, comptez un périple d’au moins deux semaines, si Neptune est de bonne humeur.
Parvenu à destination, l’île ne possède pas de véritable port en eau calme, qui pourrait être propice à un débarquement confortable.
En réalité, aucun abri naturel ne facilite le transfert sur le rivage. Aussi, toute velléité de poser le pied à terre s’accompagne nécessairement d’une gymnastique légèrement acrobatique.

Certes ça peut plaire… mais pas à tout le monde.

Sinon, il y a l’avion, depuis 2017.
Cette deuxième solution offre l’avantage d’être sensiblement plus rapide que le bateau.
Hélas, là encore, un petit bémol vient tempérer l’enthousiasme du prétendant à la découverte Hélènienne.
L’atterrissage présente, en effet, une facette « sportive » qui ne séduit pas toujours les passagers…
Parfois, il advient même, que l’opération soit purement et simplement annulée au dernier moment, car jugée trop dangereuse.
Alors, c’est un retour immédiat vers Johannesburg dans l’attente de conditions plus clémentes.

Fâcheux contretemps, tout de même !

Six heures et demie pour aller, plus autant pour revenir au point de départ, ça calme !
Lors d’une arrivée par voie maritime, tout ce qui constitue l’inimitable charme anglais se trouve réuni, comme pour bien planter le décor, sans tarder.
La brume et les sombres falaises escarpées ne rappellent en rien le climat tropical qui devrait pourtant régner à cette latitude.

La ville de Jamestown,

L’agglomération principale, est une cité coquette, assoupie au creux d’une longue vallée aux flancs arides qui débouche sur le port.


Suivant l’endroit où on se trouve, l’île présente par endroits un aspect un peu lugubre.

Cependant, de nombreux jardins et quelques collines verdoyantes, couvertes de pâturages, tempèrent l’austérité de certains paysages.
Et puis, nous sommes sur un domaine aussi maritime que vallonné. Aussi l’Océan Atlantique se dévoue-t-il souvent pour jouer les arrière-plans des divers centres d’intérêt, tous plus ou moins napoléoniens.

Sa majesté naturelle,

alliée à la pluralité de ses nuances, parviendrait à égayer le plus sombre des tableaux.
Bien que Sainte-Hélène possède un indéniable charme, désuet autant que britannique, il faut bien reconnaitre que la principale, si ce n’est même la seule, raison d’y venir tourne autour des années de retraite forcée du célèbre locataire corse.
La visite des endroits qui ont été témoins du séjour de l’illustre prisonnier ne manque pas d’intérêt, et la gentillesse des habitants participe amplement au bien être ambiant.

Pourtant, Sainte-Hélène se dépeuple inexorablement.

La mise en service récente de l’aéroport a rendu l’île accessible en seulement quelques heures d’avion.
Mais il n’est pas certain que cela soit suffisant pour en faire une destination de villégiature très prisée.
Barnabé n’envisagea pas un instant de s’établir à Sainte-Hélène. La clientèle potentielle lui semblait trop maigre…

Épilogue

Notre cher Barnabé, l’homme qui pensait que son pays était le monde entier se berçait d’illusions.
Même le village qui l’avait vu naitre n’était pas, lui non plus, son pays.
Son pays était encore bien plus petit que ça !
Seule cette modeste parcelle de plancher, qui l’accueillait régulièrement à l’heure de la pause déjeuner, s’en approchait…

En réalité, le vrai pays de Barnabé,

c’est cette modeste bibliothèque de campagne dans laquelle il se rend quotidiennement, à la mi-journée.
Il y dévore, les uns après les autres, ces ouvrages qu’il affectionne tant et qui lui font visiter le monde :
des récits de voyage.

Ainsi cette trilogie qui le ravit actuellement :
« Mamilou et Grand-père en short autour du monde».

C’est dans le calme feutré de cette pièce aux murs tapissés de livres qu’il est vraiment en son pays.
C’est là qu’il se sent chez lui, s’abandonnant complètement, par la lecture, à une découverte sans limites de l’univers.
Totalement libéré des contraintes matérielles qui freinent sans cesse l’avancée du voyageur « physique », son esprit, transporté par les mots, l’entraine en un instant dans n’importe quelle contrée lointaine.
Sans bouger de son pays et surtout, sans carcan.

Fin

Domi auteur de livres de voyages

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